Fitness relationnel

3' de lecture

Alain Mabanckou l’auteur du désopilant Mémoires de Porc-épic considère que l’écriture est comme un muscle qu’il faut entraîner quotidiennement. J’en suis venu à penser de même à propos des relations humaines, notamment l’amitié et l’amour. Je les conçois comme un faisceau constitué de nombreux liens visibles et invisibles, d’une nature spéciale, irrigués d’énergie vitale, connectés à leurs deux extrémités à deux articulations bien distinctes par leurs formes, leurs fonctions et leurs possibilités grâce à plusieurs points d’ancrage comme le partage d’une vision du monde, une certaine idée de la convivialité, des centres d’intérêts, l’admiration et l’inspiration.

Et tels sont nos muscles qui s’assouplissent, se renforcent, deviennent plus endurants et plus réactifs, dont les fibres se multiplient patiemment par l’entraînement régulier. La vie nous offre de nombreuses opportunités, ou autant de poids et altères, pour accroître la résilience, la confiance mutuelle, l’efficacité et le plaisir que procurent une relation bien musclée.

Que deviennent l’amour et l’amitié sans impulsions quotidiennes pour stimuler ces filaments exigeants qui ne demandent qu’à s’atrophier et à être sujets aux crampes et courbatures ? Quelle est vraiment la réalité de cette relation avec cet ami, cet amour quand elle ne repose que sur la mémoire et l’image ? Au mieux un souvenir rassurant qui nous rend propice à la nostalgie, au pire une routine sclérosée qui devient insupportable. C’est d’ailleurs l’une des nombreuses raisons de mon divorce. Arrêtez de nager et vous constaterez qu’au bout d’un certain temps, vous n’en avez plus ni la capacité ni l’envie. A peine savez-vous encore barboter dans le grand bain. Mais s’il faut un déclencheur puissant, plus ou moins conscient, au démarrage pour retrouver l’envie de s’exercer, sur le long terme, dimension peu valorisée dans notre culture, c’est la pratique qui nourrit l’envie, pas le coup de foudre.

J’ai rencontré ma compagne actuelle lors d’un très court séjour à Berlin, nous ne nous sommes vu que de manière fugace pendant plusieurs mois au début de la relation, seulement connectés par téléphone et si, maintenant, nous avons un enfant ensemble, cela témoigne autant de la beauté et du caractère unique de cette rencontre que de la chance. Combien d’amitiés potentielles, d’amours passionnées, de relations électro-cosmiques, se sont délitées ou n’ont jamais eu lieu car, faute d’interactions répétées, elles n’ont pu se concrétiser, se matérialiser, s’inscrire dans le temps pour permettre de construire une mythologie commune forte et évolutive qui s’enrichira des expériences successives.

À ce titre comme le pense Jiddu Krishnamurti, nous sommes prisonniers de nos pensées. Et les sentiments et les relations en pensées, hormis quelques plaisirs onaniques, sont de peu de poids, pour nous autres êtres de chair et de sang, face aux atomes et aux lois de la physique dans laquelle nous baignons en permanence. Notre matérialisme synthétisé par le système des objets n’est que de surface. De notre croyance à une croissance économique infinie dans un monde fini à notre rapport à l’autre, nous baignons dans l’irrationnel et la pensée magique. Nous nous berçons de douces illusions en pensant que ces photos de vacances en 2007 sont le témoin d’une amitié sincère et durable. Ces vieilles photos sont un vestige du passé qui témoigne uniquement de ce qu’ont été nos relations à cette époque. Et de ce qu’il aurait fallu continuer à entraîner. En réalité, que s’est-il passé depuis ? A tort ou à raison, qu’avez-vous partagé depuis avec ce ou ces supposé.e.s ami.e.s ? De quoi nous nourrissons-nous ? De souvenirs, d’anecdotes à raconter à nos enfants, de mondanités lors d’un dîner de temps à autres, de l’idée que nous étions ami.e.s et amant.e.s ou d’échanges, d’interactions régulières, diversifiées, sincères et concrètes ? Au même titre que la liberté d’expression ne s’use que si on ne s’en sert pas, l’amitié s’étiole dans son auto-contemplation. Et nous nous rassurons juste en nous leurrant du potentiel, de l’opportunité, de la possibilité de pouvoir faire quelque chose que nous ne faisons pas. Beaucoup d’idéalisme sous-tend nos conceptions.

Vous avez un.e ami, appelez-le ! Proposez-lui de partager un moment ensemble, pour faire et être ensemble, qu’importe le sujet. Au contraire même, changez d’exercice, diversifiez l’entraînement, intensifiez les séances. Apprenez à grignoter avec parcimonie les plus suaves madeleines – la recette de Gaston Lenôtre est à essayer sans faute – et ouvrez-vous à de nouveaux plaisirs. Le sens des anecdotes et des photos est de nous rappeler qu’il faut en permanence se fabriquer des anecdotes et des photos. Pas de les contempler comme des icônes, de les protéger comme des reliques sacrées ou de les adorer comme un mystérieux veau d’or. Ces photos doivent vous rappeler qu’à un moment vous avez su et voulu être disponible, attentif, ouvert, synchronisé, tourné sur le réel, le partage et l’action. La seule magie, en réalité, réside dans le fait que vous pouvez recommencer à pratiquer dès maintenant.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.